La critique



Le Bain et le Voyage à La Haye

Le Bain et le Voyage à La Haye

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Il entre par derrière, droit et sec, nous fixe, sans dureté mais sans nous laisser pour autant la possibilité d’échapper à sa présence, comme la mort qui rôderait sous une apparence familière. C’est vers elle, vers les jours qui la précèdent à plus ou moins brève échéance, que convergent ces deux récits testamentaires de Lagarce. Le comédien Patrick Coulais restitue avec brio la sobriété délibérément plate et foudroyante de l’écriture de l’auteur. Évitant tout pathos, il se contente d’étouffer la salle avec la gravité des mots qu’il détache, arborant parfois un équivoque sourire aux lèvres, suggérant, à travers l’extrême plasticité de son visage, que les sentiments sont toujours mêlés. Ainsi la scène du bain – où Lagarce retrouve un ancien amant sur le point de mourir – concentre-t-elle le drame d’un corps épuisé et la légèreté d’un instant d’amitié – banal mais bien vivant, et comme tel, arraché au tragique. Réceptacle de leurs retrouvailles, sas avant l’absorption fatale, l’eau ressemble à une étrange parenthèse qui sort les corps de leur réalité. Dans ce spectacle d’une intensité rare, l’émotion culmine dans cette manière presque embarrassante de lier le pire et l’anecdotique, l’inéluctable et le quotidien.



Il arrive du fond de la salle et s'assied dans un coin devant la scène, sur un haut rectangle noir. Dans son pantalon de cuir noir et son long pull crème, Patrick Coulais donne voix et corps aux mots de Jean-Luc Lagarce. Par ses longues mains, sa voix grave, son extreme émotion, il captive immédiatement l'attention.
Le texte semble sortir de ses entrailles et il le vit intensément. Son émotion est palpable et communicative. Sur scène, où il marche ensuite, il n'y a rien qu'une chaise en métal. Pas de musique non plus, si ce n'est pour indiquer le glissement du « Bain «  au « Voyage à La Haye ». Patrick Coulais n'a besoin de rien. Il est là, il raconte, égrène les souvenirs, et c'est bien assez comme cela. Posément, avec lucidité et sang-froid, non dénué d 'une pointe d'humour, il évoque les rencontres, l'amour, le travail, la maladie et la douleur physique et psychique. Le texte de Lagarce est très fort, le jeu de Patrick Coulais aussi. Accroché à ses lèvres, le public, dans un état extatique, boit ses mots tel un poison. On touche au sublime !

Marie-Félicia Alibert
Le Vaucluse Matin du 24 juillet 2018




« Jean-Luc Lagarce écrivit ces deux textes à la fin de sa brève vie. On n'y arpente plus comme dans ses pièces les plus jouées le terrain poisseux des relations familiales. 
Patrick Coulais, comédien au jeu d'une intense délicatesse, a eu l'ingénieuse idée de rassembler des monologues dans lesquels il se livre avec autant de franchise que dans son journal. 
Dans "Le bain" il raconte ses retrouvailles avec un garçon qu'il aime et dont le corps porte les empreintes du sida qui va bientôt l'emporter. Il est peu d'exemple où le sentiment amoureux est décrit avec une telle douceur. 
La mort plane aussi, mais cette fois celle de l'auteur, dans "Le Voyage à La Haye". Après avoir accompagné sa troupe lors d'une tournée qui l'a menée aux Pays Bas, Jean-Luc Lagarce rentre à Paris où il a rendez-vous avec son médecin. Un de ses yeux lui donne des soucis. (…) Bien que son monde à l'évidence s'enténèbre, l'écrivain épice cet épisode de détails croustillants. Tout du long il triture ainsi, sans jamais s'apitoyer sur son sort, au plus profond de ses sentiments. 
Sa narration est précise, réaliste jusqu'au rocambolesque. La mort y planant dans son inexorable injustice on sort de ce spectacle, auquel l'interprète insuffle un charme enveloppant, le coeur gros. Et transporté. »


Joshka Schidlow – site Allegro Théâtrefévrier 2017